Carnets de recherche

Présentation des thèmes de recherche

1. Introduction : règles d’utilisation des échantillons biologiques
1.1. Echantillons post mortem
Les échantillons biologiques récents sont analysés sur réquisition ou ordonnance d’un magistrat en accord avec la législation française (Art. 16-11 et 16-12 du Code civil) à des fins d’identification. La détermination de traits phénotypiques et/ou de l’origine biogéographique n’est réalisée que sur des échantillons historiques ou issus de populations du passé dans la mesure où l’arrêt n°3280 du 25 juin 2014 (13-87.493) de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation rend possible ces analyses sur des produits biologiques détachés du corps humain, mais non sur les corps eux-mêmes. L’exploitation scientifique des résultats se fera après anonymisation des données concernant les échantillons.

1.2. Echantillons actuels
Les prélèvements de matériel biologique sur des individus vivants sont réalisés uniquement à des fins de recherche, avec le consentement écrit des personnes majeures après leur avoir donné une information circonstanciée. Tel est le cas par exemple pour les échantillons prélevés dans le cadre de l’étude Baobab réalisée conjointement avec le Dr Audrey Sabbagh. Les prélèvements sur descendants destinés à permettre une identification dans des cas historiques (ex : identification de victimes des première et seconde guerres mondiales) sont prélevés uniquement sur réquisition ou ordonnance d’un magistrat. Dans ce cas également, l’exploitation scientifique des résultats se fait après anonymisation des données concernant les échantillons.

2. Thème de recherche : ANTHROPOLOGIE BIOLOGIQUE
L'anthropologie biologique est l'étude de l'homme, présent et passé, dans son cadre naturel, social et culturel. Elle constitue un cadre d'étude holistique dans lequel l'homme est toujours envisagé dans le paradigme espace-temps, c'est-à-dire comme un être vivant en constante évolution (variabilité temporelle), au sein de populations diverses (variabilité spatiale).
Cette double approche propre à l'anthropologie biologique est d'un intérêt considérable car elle permet de resituer l'histoire biologique propre à un individu dans son contexte populationnel, en prenant en compte les évènements dynamiques en jeu, comme les migrations et les adaptations à des changements environnementaux. Les études anthropologiques constituent donc une source d'informations essentielles pour d'autres disciplines, notamment biomédicales ou paléoanthropologiques.
Dans le cadre de l'équipe BABEL, nous nous focalisons sur des thématiques anthropologiques centrées sur des questions liées au statut médico-légal des individus : estimation de l'âge par la mesure de la stature et du stade pubertaire (profil biologique d'un individu nécessaire au processus d’identification); analyse de l'état de santé des individus dans un environnement donné par l'étude de l'hypoplasie dentaire ou des effets d'une contamination d'origine industrielle; analyse du statut alimentaire et des pratiques culturelles par l'étude de la dégradation de l'émail dentaire (profil biologique et comportemental des populations archéologiques).

2.1. Recherche anthropologique contribuant à l'identification d'un individu
2.1.1. Biométrie et estimation de l’âge
L'âge d'un individu est un élément pouvant être déterminant en médecine légale et en anthropologie pour identifier une personne décédée, mais il peut également se révéler fondamental pour établir la majorité d’un individu. En effet, les estimations d'âge des adolescents mineurs dont l'état civil est incertain doivent être suffisamment précises pour répondre aux demandes judiciaires. Les médecins légistes disposent de méthodes radiologiques encore trop imprécises.
L’un des objectifs de l’équipe d’anthropologie biologique est de tenter de déterminer avec une meilleure précision l'âge des adolescents mineurs à partir de critères simples et reproductibles. Des premiers travaux ont été menés sur un échantillon de référence composé de 1234 mesures recueillies sur une période de cinq ans à partir de 125 adolescents âgés de 12,5 ans à 16 ans. Un second échantillon de validation constitué de 269 basketteurs de niveau régional âgés de 12,5 ans à 16 ans a permis de vérifier la pertinence des premières estimations. Les critères retenus portent sur la stature et le stade pubertaire dans le respect de l'absence de l'examen des organes génitaux préconisé par la loi française. Le degré de maturation biologique a été décomposé selon 4 stades distincts : impubère, pré-pubère, para-pubère et pubère. Les estimations d'âge ont été obtenues par une régression multiple faisant intervenir la stature et le stade pubertaire. La moyenne des écarts entre l'âge estimé et l'âge réel a été estimée à 0,13 mois avec un écart type de 8,9 mois. Pour 75% des adolescents, une estimation de l’âge a pu être établie avec une précision comprise entre ±10 mois. De même, 81% des écarts entre l'âge réel et l'âge estimé des basketteurs sont également compris entre ±10 mois. Cette méthode d'estimation d'âge chronologique simple et reproductible offre donc de belles perspectives pour être utilisée en routine dans un cadre médico-légal afin de répondre aux demandes judiciaires et pourrait être davantage exploitée dans le cadre du présent projet.

Courbes péri-pubertaires de la stature chez les adolescents garçons.

2.1.2. Biométrie et identification de corps démembrés
Dans certains cas particuliers (démembrement volontaire par le criminel ou accidentel par la violence d’un impact), l’identification d’une victime ne peut se faire qu’à partir d’un élément isolé de son corps. Il s’agit alors d’extraire le plus d’informations possibles de cet élément. Les études biométriques peuvent alors orienter les enquêteurs.
Pour exemple, l’équipe d’anthropologie biologique a contribué à une étude visant à déterminer la corpulence d'un individu à partir des mesures et du volume de la main. Ce travail, publié en 2007 dans le Journal de Médecine Légale Droit Médical (Lefevre et al., 2007), a permis de démontrer que le volume de la main est fortement corrélé aux dimensions de la main. De plus, il existerait une forte liaison entre la stature et les longueur et largeur de la main. De même, il existerait une forte liaison entre le poids et le périmètre de la 2ème phalange du 5ème doigt et le volume des mains. Ainsi, il serait possible d'estimer avec une bonne précision la corpulence (taille et poids) des sujets à partir des mesures et du volume de la main. De telles études vont être menées dans le cadre des cas concrets rencontrés à l’IML de Paris.

2.2. Recherche concernant la variabilité biologique dans les populations actuelles
2.2.1. Courbes péri-pubertaires dans le suivi longitudinal de la croissance individuelle
A l'issue du programme ANR MOCCA 2009-2013 portant sur la "Modélisation des Courbes de Croissance chez les Adolescents en fonction de la maturation biologique et de l'âge chronologique", des courbes de croissance péri-pubertaires ont été élaborées à partir de données longitudinales recueillies chez des garçons et des filles âgés de 11 à 17 ans. L’association du degré de maturation biologique à un âge chronologique a constitué le critère déterminant pour élaborer les nouveaux standards selon trois groupes pubertaires, correspondant aux individus à puberté avancée, normale et retardée.

2.2.2. Modélisation des courbes de croissance et prédiction de la stature à l'âge adulte
La prédiction fiable de la stature à l'âge adulte d'un jeune basketteur dès l'âge de 13 ans et demi a constitué l'objectif essentiel d'un projet de recherche et de développement en collaboration avec la fédération française de basket-ball. Les courbes de croissance péri-pubertaires élaborées sur des adolescents sédentaires constituent un nouveau référentiel pertinent en vue d'effectuer une prédiction précise de la stature à l'âge adulte de jeunes basketteurs des deux sexes.

2.2.3. Prédiction de la stature et du poids à l'âge adulte de jeunes Pygmées Baka du Cameroun
Les Pygmées Baka du Cameroun naissent avec une taille et un poids semblables à ceux des nouveau-nés des populations européennes, mais entre la naissance et l’âge de 2,5 ans le taux de croissance est très bas. A partir de 3 ans, la croissance suit le parcours de n’importe quelle autre population mais la différence déjà établie ne se rattrape plus. Une étude portant sur la prédiction de la stature et du poids d'adolescents Pygmées Baka sera effectuée à partir des courbes péri-pubertaires établies précédemment.

2.2.4. Inadéquation du BMI comme indicateur de l'adiposité chez les garçons et chez filles âgés de 1 à 3 ans
Nous envisageons d'effectuer une étude biométrique qui aura pour principal objectif de démontrer la limitation de l’indice de corpulence (P/T²) comme indicateur de l’adiposité chez l’enfant et notamment entre un et trois ans. Ce constat devrait nous conduire, dans un second temps, à modifier l’expression algébrique de l’indice de corpulence, afin de mieux la corréler à l’adiposité des enfants et des adolescents en fonction de l’âge. Pour atteindre cet objectif, il sera nécessaire de montrer que la corrélation entre notre nouvel indice et la masse grasse DXA est significativement supérieure à celle obtenue entre le BMI et la masse grasse DXA.

2.2.5. Estimation du pourcentage de masse grasse mesurée par absorptiométrie chez des sujets sédentaires à partir de données anthropométriques
L'objectif de cette étude consiste à établir des modèles de régression linéaire ou quadratique donnant une estimation de la masse grasse obtenue par absorptiométrie DEXA à partir de mesures anthropométriques chez des sujets adultes homme et femme séparément. Pour cela, une étude de cross-validation sera effectuée sur des cohortes de sujets qui présentent une grande variabilité de masse grasse.

2.2.6. Adaptations biologiques à un environnement durablement contaminé.
L'importance croissante des contaminations environnementales en santé publique conduit à s'interroger sur leur capacité à engendrer des variations biologiques (adaptatives ou non) dans les organismes humains. Quels sont les effets des métaux lourds, des composés organiques, de la pollution atmosphérique sur les individus et les populations ? A travers un cas d'étude bien identifié (un site industriel durablement contaminé au Portugal), et grâce à une collaboration binationale déjà bien établie, les chercheurs de l’équipe tenteront de spécifier certaines caractéristiques biologiques et anthropologiques impactées par cette activité anthropique. L'accent est mis également sur les effets des polluants sur la croissance des enfants et le développement cognitif par la mise en place d'études biologiques et d'enquêtes de terrain.

2.3. Recherche sur les modifications ante- et post-mortem (taphonomie) en relation avec le contexte environnemental et culturel
2.3.1. Modification et dégradation de l'émail des dents
Dans les collections archéologiques composées de restes humains souvent associés à des restes animaux, les modifications (biologiques, physiques, chimiques) observées sur les os et les dents peuvent avoir été causées avant ou après la mort des individus. Certaines sont directement observables à la surface de l'émail des dents, et sont apparues du vivant des individus durant la phase de croissance (sillon, ligne, et autres stigmates d'origine hypoplasique). Dans cette analyse, il est question de mesurer l'état physiologique des individus appartenant à différentes espèces d'un même écosystème, soumis à des stress physiologiques importants (stress naturels liés aux évènements de la vie, croissance in utero, naissance, sevrage, maturité sexuelle, etc.), et de voir s’ils sont corrélés avec des facteurs externes (fluctuations climatiques) (Bacon et al., 2018a). Il s’agit également de mieux comprendre l'adaptation des hominines dans leur environnement.

Lignes d'hypoplasie chez les grands singes (orang-outan) : mesure du stress physiologique des individus pendant la croissance (dents d'orangs-outans fossiles du site de Tham Khuyen, Viêt Nam; photo du Pr. Nguyen Lan Cuong) .

On peut également observer sur l'émail, par une exploration macroscopique de la surface des dents chez l'homme et l'animal, une variété d'impacts "accidentels" (éclatements et fractures autres que les marques d'usure dues à l'abrasion répétée des aliments) qui peuvent avoir de multiples causes, préparation de la nourriture, mastication, accidents, particules minérales contenues dans la nourriture, auxquels s'ajoutent chez les hominines les pratiques culturelles (ces modifications sont parfois difficiles à distinguer des dégradations post mortem du dépôt des squelettes jusque l'enfouissement). La position de la dent sur la rangée dentaire (antérieure ou jugale), la localisation et la fréquence des impacts sur les dents, ainsi que la sévérité des dommages de l'émail (superficiels ou endommageant plus profondément la dentine) sont autant de critères qui renseignent sur le type d'alimentation et le comportement. Plusieurs études faites sur différents groupes montrent la pertinence de ces marqueurs (liste non exhaustive) : les carnivores (van Valkenburg, 2009 ; Bacon et al., 2018b), les grands singes (Constantino et al., 2012), les hominines plio-pléistocènes (Towle et al., 2017), et les populations récentes "chasseurs-cueilleurs vs agriculteurs" (Scott et Winn, 2011). Dans ce thème, les modifications et les dommages observés sur l'émail sont étudiés chez différentes espèces provenant de collections zooarchéologiques (grands singes ; Homo sapiens et hominines anciens).
D’autres approches analytiques - biogéochimique (utilisation de marqueurs isotopiques 13C, 18O, 15N, 87Sr/86Sr, 66Zn, permettant de reconstituer l’habitat et le niveau trophique) (Bourgon et al., 2020), biomoléculaire et d'imagerie virtuelle (nécessaires à l'identification de taxons) (Zanolli et al., 2019) – sont appliquées au matériel fossile afin de comprendre le contexte environnemental des espèces étudiées, en collaboration avec d’autres équipes de recherche.

Bibliographie
Bacon AM., Antoine PO., Nguyen Thi Mai Huong, Westaway K., Nguyen Anh Tuan, Duringer P., Zhao Jx., Ponche JL., Sam Canh Dung, Truong Huu Nghia, Tran Thi Minh, Pham Tranh Son, Boyon M., Nguyen Thi Kim Thuy, Blin A., Demeter F., 2018a. A rhinocerotid-dominated megafauna at the MIS6-5 transition: The late Middle Pleistocene Coc Muoi assemblage, Lang Son province, Vietnam. Quaternary Science Reviews 186, 123-141.

Bacon A.-M., Duringer P., Westaway K., Joannes-Boyau R., Zhao J-x., Bourgon N., Dufour E., Pheng S., Tep S., Ponche J.-L., Barnes L., Blin A., Patole-Edoumba E., Demeter F., 2018b. Testing the savannah corridor hypothesis during MIS2: The Boh Dambang hyena site in southern Cambodia. Quaternary International 464, 417-439.

Bourgon N., Jaouen K., Bacon A.-M., Jochum KP., Dufour E., Duringer P., Ponche JL., Joannes-Boyau R., Boesch Q., Antoine P.-O., Hullot M., Weis U., Schulz-Kornas E., Trost M., Demeter F., Patole-Edoumba E., Shackelford L., Dunn T., Zachwieja A., Duangthongchit S., Sayavonkhamdy T., Sichanthongtip S., Sihanam D., Souksavatdy V., Hublin J.-J., Tütken T., 2020. Zinc isotopes in Late Pleistocene fossil teeth from a Southeast Asian cave setting preserve paleodietary information. Proceedings of National Academy of Sciences. doi/10.1073/pnas.1911744117

Constantino P.J., Markham K., Lucas P.W., 2012. Tooth chipping as a tool to reconstruct diets of great apes (Pongo, Gorilla, Pan). International Journal of Primatology 33, 661-672.

Lefevre P., Pineau J.-C., Beauthier J.-P., Rooze M., 2007. Identification médico-légale de la corpulence de sujets adultes à partir des mesures et du volume de la main. Journal de Médecine Légale, Droit Médical, Victimologie, Dommage Corporel 50(3), 115-131.
Scott G.R., Winn J., 2011. Dental chipping: Contrasting patterns of microtrauma in Inuit and European populations. International Journal of Osteoarchaeology 21, 723-731.

Towle I., Irish J.D., De Groote I., 2017. Behavioral inferences from the high levels of dental chipping in Homo naledi. American Journal of Physical Anthropology 165, 184-192.

van Valkenburg B., 2009. Costs of carnivory: Tooth fracture in Pleistocene and Recent carnivorans. Biological Journal of the Linnean Society 96, 68-81.

Zanolli C., Kullmer O., Kelley J., Bacon A.-M., Demeter F., Dumoncel J., Fiorenza L., Grine FE., Hublin J.-J., Nguyen Anh Tuan, Nguyen Thi Mai Huong, Lei Pan, Schillinger B., Schrenck F., Skinner MM., Ji X.J., Macchiarelli R., 2019. Evidence for increased Hominid diversity in the Early to Middle Pleistocene of Indonesia. Nature, Ecology & Evolution 3, 755-764.

3. Thème de recherche : ANTHROPOLOGIE MOLECULAIRE
Il y a environ 30 ans, grâce à une découverte de l’anglais Alec Jeffreys, la médecine légale a pu bénéficier d’une nouvelle méthode d’investigation : l’étude de l’ADN. Dès lors, une trace de sang, de sperme, de salive ou tout autre élément biologique allait permettre de confondre ou de disculper l’auteur d’un crime, d’identifier des victimes, d’apparier des corps démembrés, d’établir des liens de parenté. Cette technique, dite des empreintes génétiques, a considérablement évolué depuis sa mise en œuvre au milieu des années 80. Elle offre désormais de nouvelles perspectives quant à l’identification des individus.
Dans le cadre de l’équipe Babel, nous nous attachons à explorer les progrès réalisés dans les techniques d’analyse de l’ADN. Ces techniques permettent non seulement d’identifier un individu mais également de définir la place de cet individu au sein de la structure dans laquelle il évolue à savoir une famille biologique, un groupe social, une population.

3.1. Identification d’un individu et profil génétique individuel
3.1.1. Profil génétique et STR autosomaux
En pratique judiciaire, l’identification génétique des individus et la réalisation des tests de filiation sont classiquement réalisées au moyen de marqueurs appelés microsatellites ou STR (Short Tandem Repeats). Les loci STR sont des régions non codantes, constituées par la répétition d’un motif nucléotidique court (compris entre 2 et 6 nucléotides). L’amplification par PCR (Polymerase Chain Reaction) de ces régions, dont le nombre varie beaucoup selon les individus, permet d’obtenir des fragments de longueur variable (allèles), séparés en fonction de leur taille par électrophorèse capillaire. L’analyse simultanée de plusieurs régions STR localisées sur les autosomes (chromosomes non sexuels) permet d’obtenir un profil génétique propre à chaque individu (à l’exception des jumeaux monozygotes), et hérité pour moitié par le père et pour moitié par la mère. Le nombre de répétitions contenues dans chacun des allèles permet une expression alphanumérique des profils génétiques qui peuvent être enregistrés dans des bases de données telles que le FNAEG ou Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques. Ces bases de données permettent des rapprochements entre traces biologiques et individus.
Notre pratique prolongée de cette méthode d’identification, dans le cadre d’expertises judiciaires mais surtout dans celui de recherches académiques, nous a amené à détecter certaines limites de l’interprétation des profils STR, en particulier lors de l’étude de cas complexes (parentés éloignées, familles consanguines, populations isolées, méconnues ou disparues, effectif réduit, données manquantes…).

Exemple de profil génétique obtenu au moyen de STR autosomaux.

Ainsi, pour l’analyse de cas complexes, nous avonc développé et tester une approche innovante grâce à des échantillons biologiques collectés auprès de familles d’Afrique et de Sibérie et dont les généalogies sont connues sur plusieurs générations (Zvénigorosky et al., 2020).

3.1.2. Profil génétique et SNP autosomaux
D’autres marqueurs peuvent être utilisés pour établir un profil génétique individuel, il s’agit de variants ponctuels de la séquence d’ADN ou SNP (Single Nucleotide Polymorphisms). L’analyse simultanée de millions de ces marqueurs est désormais possible, notamment sur la puce Illumina HumanOmni5 qui permet l’analyse de plus de 4 millions de marqueurs SNP répartis sur l’ensemble du génome. Afin d’établir la pertinence de recourir à une telle approche en pratique judiciaire, notamment pour établir des parentés, nous envisageons une étude comparative STR versus SNP et ce, afin d’établir si des résultats plus fiables peuvent être attendus avec les SNP dans les cas de parentés complexes, distantes ou consanguines.
Cette étude sera possible grâce à une collaboration développée avec Audrey SABBAGH et Friso PALSTRO (UMR 216 IRD - UPD), sur des populations du Bénin pour lesquelles des analyses de SNP ont d’ores et déjà été effectuées dans le cadre d’un projet collaboratif sur l’exploration des facteurs génétiques impliqués dans la susceptibilité au paludisme de populations sympatriques au Nord Bénin.

3.1.3. Profil génétique et génomes complets
La récente généralisation des nouvelles technologies de séquençage (NGS pour Next Generation Sequencing) permet l’analyse de marqueurs plus nombreux, couvrant une part bien plus importante du génome humain, voire la totalité. Nous avons développé l’analyse de génomes mitochondriaux totaux et surtout conçu et développé une base de données permettant la comparaison des séquences d’ADN mitochondrial complètes générées au sein de notre laboratoire à celles publiées dans la littérature et intégrées dans la base (environ 40 000 individus à ce jour). Ceci permet d’apporter de nouveaux éléments aux investigations visant à identifier les restes humains inconnus (détermination de l’origine ethno-géographique maternelle en particulier).

3.2. Identification d’un individu et portrait-robot génétique
Une analyse d’identification génétique est nécessairement comparative : un profil génétique de question (ou profil trace) est toujours comparé à un ou plusieurs profils de référence (ou profil individu). Mais que se passe-t-il lorsque le profil de question ne correspond à aucun des profils de référence stockés dans les bases de données ou lorsqu’il n’y a aucun profil de référence ? Le profil génétique reste muet et des individus pourront ne jamais être identifiés. Pour permettre une identification, il peut être utile d’estimer des caractéristiques phénotypiques et/ou une origine biogéographique. Il s’agit alors d’obtenir des éléments d’orientation comparables à des témoins biologiques permettant de cibler une catégorie d’individus et de guider ainsi les recherches des enquêteurs.

3.2.1. Traits phénotypiques
L’un des premiers traits phénotypiques à avoir été étudiés est la couleur des yeux. En effet, l’équipe du Pr. Manfred Kayser a développé un test nommé IrisPlex basé sur le typage de 6 marqueurs SNP. Ce test a été validé pour des applications médico-légales. Il présente une fiabilité de plus de 90% pour les yeux bleus et bruns et de l’ordre de 75% pour les yeux de couleur intermédiaire. Cette même équipe a également développé un test permettant de déterminer la couleur des cheveux, en plus de celle des yeux. Ce test, nommé HIrisPlex, repose sur l’analyse de 24 SNP. La fiabilité de ce test est supérieure à 90% pour les cheveux roux, de l’ordre de 80% pour les cheveux blonds ou noirs et de 75% pour les cheveux bruns. Ce test est également validé pour des applications médico-légales. La couleur de la peau est une caractéristique plus complexe à déterminer génétiquement et les premières tentatives de prédiction de la couleur de la peau à partir de l’ADN se sont révélées assez peu concluantes, mais récemment l’équipe de Manfred Kayser a publié une étude qui semble plus prometteuse. Elle est basée sur l’analyse de 36 SNP à fort pouvoir prédictif. Ce test n’est pas encore validé pour des applications médico-légales puisque sa description est récente.
Si notre équipe a déjà travaillé sur ces marqueurs dans le cadre de travaux sur des individus anciens (Bouakaze et al., 2009), un important travail reste à accomplir pour des applications en médecine légale, aussi bien pour valider l’application de marqueurs déjà décrits que pour le développement de nouveaux marqueurs.

3.2.2. Origine biogéographique
La couleur de la peau étant fortement liée à l’origine ethnique ou géographique des individus, il est intéressant de combiner à l’analyse de la couleur de la peau celle de l’origine géographique d’un individu. Certains SNP offre cette possibilité, il s’agit des AIM (Ancestry Informative Markers) correspondant à des SNP autosomaux qui présentent des fréquences alléliques significativement différentes selon l’origine géographique des populations.
Nous avons pu tester, sur le système Ion Torrent PGM disponible à l’INTS, un panel commercialisé incluant un ensemble de 165 AIM. Ce panel a été testé dans le cadre d’une affaire judiciaire de découverte de corps et a permis d’établir l’origine géographique la plus probable au regard des populations mondiales référencées pour ce panel (Hollard et al., 2017).
Dans le souci d’être plus pertinent, ces analyses ont été complétées par l’étude de SNP de l’ADN mitochondrial et de STR du chromosome Y. En effet, l’étude des lignées maternelles et paternelles donnent de sérieuses indications sur l’origine biogéographique d’un individu. Ces analyses phylogéographiques peuvent être menées notamment grâce au système Ion Torrent PGM. L’ensemble de ces résultats nous a conduit à conclure à une origine à rechercher dans le bassin méditerranéen ou au Proche-Orient, une information très générale qui n’a pas permis d’établir un véritable « portrait-robot génétique » qui aurait pu permettre à la justice d’identifier le corps retrouvé.
Beaucoup de travail reste donc à accomplir dans les années à venir sur ce thème de recherche qui nécessitera de travailler de concert avec l’ensemble des membres de l’équipe pour tester la diversité des populations an niveau de l’ADN mitochondrial et du chromosome Y. Les populations étudiées par Jean-Claude Pineau en particulier pourraient être testées au niveau de marqueurs uniparentaux.

3.3. Epigénétique et détermination de l’âge
Parmi les informations que ne livrent pas les marqueurs génétiques précédemment décrits, figure l’estimation de l’âge, une donnée pourtant intéressante pour caractériser un individu en anthropologie funéraire ou médico-légale. Si la détermination de l’âge d’un squelette, basée sur des éléments de maturation osseuse et/ou dentaire est relativement précise pour des individus immatures, des adolescents ou des jeunes adultes, elle est en revanche très aléatoire au-delà de 30 ans et jusqu’à 60 ans. Développer une méthode génétique relativement précise de détermination de l’âge des individus appartenant à la classe 30-60 ans présente donc un intérêt considérable aussi bien dans un cadre anthropologique, pour simplifier l’étude de sites funéraires, que dans un cadre judiciaire, pour faciliter l’identification de sujets squelettisés. L’estimation de l’âge est également importante lorsque l’âge d’une personne vivante est contesté (faits de relations sexuelles avec un mineur, mineur en garde à vue…), or les méthodes couramment utilisées ne sont pas toujours suffisamment précises. Cette estimation peut enfin se révéler très utiles pour améliorer la vraisemblance des « portraits-robots génétiques ».
Depuis quelques années, la méthylation des séquences CpG est apparue comme l'un des moyens les plus prometteurs pour établir l'âge des individus à partir de leur ADN, raison pour laquelle nous avons décidé d’orienter une partie de nos travaux de recherche vers une approche totalement nouvelle pour notre équipe, l’épigénétique. L’épigénétique est un domaine d’étude qui regroupe les modifications transmissibles et réversibles de l'expression des gènes ne s'accompagnant pas de changements dans l’ADN. Ces modifications, qui modulent l’activité du génome sans en changer la séquence, se font notamment par méthylation de l’ADN et transformation de la structure de la chromatine.
La méthylation de l’ADN est un phénomène dynamique, autrement dit le nombre de sites méthylés sur la molécule d’ADN varie au cours du temps d’où l’idée de s’en servir pour caractériser l’âge d’une personne. Récemment, une équipe espagnole a publié une étude basée sur l’analyse de 177 sites de méthylation à partir d’échantillons sanguins prélevés sur une cohorte de plus de 700 individus d’âges compris entre 18 à 104 ans. Cette étude a été réalisée au moyen de la technologie EpiTYPER sur un spectromètre de masse Maldi-Tof (Agena Biosciences). A partir des résultats de cette étude, les auteurs ont élaboré un outil de prédiction de l’âge basé sur l'analyse des 7 marqueurs de méthylation les plus fortement corrélés à l’âge. Cette étude prometteuse nous encourage à concevoir un projet d’étude basée sur la même technologie. En effet, notre équipe dispose d’un spectromètre de masse Maldi-Tof (Matrix Assisted Laser Desorption/Ionisation Time-of-flight) (Agena Biosciences) et d’une expérience sur ce système pour le typage des SNP (Mendisco et al., 2011 ; Bouakaze et al., 2011), aussi avons nous lancé de nouvelles analyses sur ce système.

3.4. Conclusion
L’application des avancées réalisées en recherche académique (génétique, génomique, analyse statistique) au domaine de la médecine légale a pour ambition de faciliter le travail de l’expert afin qu’il puisse rendre des conclusions à la justice, qui soient les plus éclairées possibles. Notre ambition est de s’intéresser au cas qui peuvent rendre complexe l’interprétation de l’expert habilité à procéder à des identifications génétiques, mais elle est surtout de s’intéresser à des recherches plus fondamentales permettant d’accéder à de nouveaux développements en matière de caractérisation génétique des individus.

Bibliographie
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Bouakaze C., Keyser C., Gonzalez A., Sougakoff W., Veziris N., Dabernat H., Jaulhac B., Ludes B., 2011. Matrix-assisted laser desorption ionization-time of flight mass spectrometry-based single nucleotide polymorphism genotyping assay using iPLEX gold technology for identification of Mycobacterium tuberculosis complex species and lineages. Journal of Clinical Microbiology 49(9), 3292-3299.

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Mendisco F., Keyser C., Hollard C., Seldes V., Nielsen A.E., Crubézy E., Ludes B., 2011. Application of the iPLEXTM Gold SNP genotyping method for the analysis of Amerindian ancient DNA samples. Electrophoresis 32, 386-393.

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Zvénigorosky V., Duchesne S., Romanova L., Gérard P., Petit C., Petit M., Alexeev A., Menilchuk O., Gonzalez A., Fausser J.-L., Solovyev A., Romanov G., Barashkov N., Fedorova S., Ludes B., Crubézy E., Keyser C. The genetic legacy of legendary and historical Siberian chieftains. Communications Biology (sous presse).

3.5. La paléoprotéomique

L’identification des Hominidés du Pléistocène inférieur d’Asie, à partir de restes osseux et dentaires fragmentaires, est depuis un siècle un sujet de débat, particulièrement quand il s’agit de dents isolées souvent très usées. Le problème est dû à la convergence de taille et de morphologie des couronnes dentaires entre les espèces d’Hominidés, particulièrement entre les espèces appartenant aux genres Homo et Pongo (orang-outang). Il en est résulté une grande confusion dans l’identification de ces taxons biaisant les connaissances sur l’évolution du genre Homo en Asie du sud-est, et plus généralement sur la représentation de la paléodiversité des Hominidés au Pléistocène. Récemment, de nouvelles analyses de la structure interne des dents de certains spécimens fossiles indonésiens au moyen de la microtomographie a permis de clarifier et d’authentifier la validité d’autres Hominidés tels que Meganthropus, un Hominidé distinct de Gigantopithecus, Pongo et Homo. Les avancées récentes en paléoprotéomique ont prouvé leur efficacité dans la résolution de ces problèmes taxonomiques touchant particulièrement les spécimens très anciens d’Asie, tels Gigantopithecus (Welker et al., 2019).

C’est cette thématique que Jülide Kubat, Doctorante à l’Université Paris Cité, a choisi d’aborder dans son travail de thèse. Elle analyse la structure interne des dents de fossiles d’Hominidés attribués à Homo erectus, Meganthropus et Pongo, afin d’établir les critères permettant un diagnostic sûr de ces taxons. Les résultats de cette approche morphométrique sont comparés à ceux obtenus à partir de l’analyse moléculaire des mêmes spécimens. Elle réalise ce travail grâce au financement du projet européen PUSHH Palaeoproteomics to Unleash Studies on Human History (ETN H2020 Marie Skłodowska-Curie N° 861389) dirigé par le Pr. Enrico Cappellini de l’Université de Copenhague. Il vise à fournir un enseignement et une formation à la recherche en paléoprotéomique appliquée à la paléontologie, la paléoanthropologie et l’archéologie. Le projet PUSHH bénéficie des avancées récentes et innovantes sur le séquençage des protéines anciennes par spectrométrie de masse. Les membres de ce projet travaillent au développement de nouvelles méthodes protéomiques pour l’analyse des protéines anciennes, afin de mieux comprendre les questions actuelles relevant de l’évolution humaine et de celle des fossiles hominoïdes apparentés.

4. Thème de recherche : ANTHROPOLOGIE MEDICO-LEGALE
Cette approche vise à utiliser le potentiel d’analyse du tissu osseux basé sur l’étude de squelettes anciens et de cas médico-légaux. Tissu dur et vivant, l’os peut présenter des atteintes diverses dont l’analyse permet de distinguer la nature (traumatique, pathologique ou taphonomique) et, dans le cas des lésions traumatiques, déterminer leur survenue (avant pendant et après le décès). Cette recherche s’appuie non seulement sur les observations macroscopiques des atteintes du squelette mais aussi sur une approche radiologique et microscopique. La connaissance de la structure microscopique du tissu osseux et de ses principales fonctions (mécanique, métabolique) est essentielle pour appréhender les différents aspects analytiques des atteintes osseuses et de leur survenue (avant pendant et après le décès).
Les échantillons sont prélevés sur des cas médico-légaux avec les autorisations nécessaires et sur des cas archéologiques en collaboration avec l’équipe de l’axe 1 (anthropologie biologique).

4.1. Optimiser les techniques d’analyse du tissu osseux sec : imagerie et histologie
Une des problématiques majeures auxquelles se heurtent les autorités judiciaires et les équipes médico-légales est la dégradation du corps. Des événements récents ont mis en exergue les difficultés d’analyse lorsqu’un corps est retrouvé incomplet et sous forme de squelette. En médecine légale, les analyses complémentaires qui participent à la détermination des causes et des circonstances de la mort, telles que la toxicologie et l’anatomopathologie, traitent principalement des échantillons « frais » ou « dégradés » mais rarement des os secs. C’est pourquoi notre projet de recherche vise à travailler sur des cas squelettisés afin de développer et/ou d’adapter des techniques existantes à l’examen des prélèvements d’os secs et d’évaluer les possibilités analytiques.

Prélèvement d'échantillon sur os sec.

4.1.1. Imagerie : tomodensitométrie et Micro scanner
L’examen d’imagerie réalisé sur un corps squelettisé permet d’obtenir et d’analyser des images de haute résolution en coupe et des reconstructions en 3 dimensions avec un archivage numérique des données. Diverses atteintes osseuses peuvent ainsi être mises en évidence : des lésions traumatiques, infectieuses, dégénératives, inflammatoires, tumorales, hématologiques, ou également les indicateurs de stress ou de mode de vie (Dédouit, 2007). Ces atteintes osseuses peuvent apporter des informations essentielles pour l’identification d’un corps sans identité connue (fracture ancienne) et dans l’analyse des causes et circonstances de la mort (lésions traumatiques peri mortem). Dans le cas de squelettes issus de fouilles archéologiques, les données osseuses et dentaires permettent d’obtenir des informations essentielles sur les conditions de vie et l’état sanitaire des populations anciennes. La présence d’un scanner à l’institut médico-légal nous permet de réaliser en collaboration avec les radiologues des examens des corps squelettisés.
Le premier objectif est de pouvoir comparer les résultats de l’examen tomodensitométrique classique avec l’examen réalisé à l’aide du micro scanner (Micro CT, Quantum Fx, (Perkin Elmer) auquel nous avons accès à la Faculté de Chirurgie dentaire de Paris-Descartes. Cette analyse comparative est effectuée sur des atteintes osseuses (pathologique et traumatique) afin d’évaluer le type d’atteinte osseuse où le micro scanner apporte une véritable plus-value par rapport à un examen tomodensitométrique classique.
Les informations obtenues en imagerie sont par la suite complétées par une étude histologique. En effet, le micro scanner est une technique souvent utilisée dans les laboratoires d'histologie car il permet de documenter les prélèvements avec des images en coupe et en 3 dimensions de très haute résolution permettant d’analyser la microstructure osseuse, et les caractéristiques de la lésion y compris les premiers signes de la réparation osseuse. Cette technique offre également la possibilité de mieux cibler la zone de prélèvement à réaliser pour l’examen microscopique qui est invasif (destruction de l’échantillon) d’où l’importance de l’archivage numérique (Ann, 2003).

Image en coupe extraite du micro scanner qui présente une fracture costale en cours de réparation osseuse.

4.1.2. Techniques histologiques : inclusion en paraffine versus inclusion en résine
L’examen microscopique des atteintes osseuses permet de préciser l’étiologie des atteintes osseuses (ex. fracture consolidée, ostéochondrome) et dans le cas de lésions traumatiques, d’analyser la séquence chronologique lésionnelle par rapport au décès (lésions ante mortem, peri mortem et post mortem). Par exemple, la présence de prolifération osseuse autour d’un trait de fracture caractérise une réponse vitale de l’organisme à un évènement traumatique ayant eu lieu avant la mort.
L’analyse histologique peut également permettre de mettre en évidence des particules exogènes liées à l’environnement où le corps a séjourné ou des particules laissées par un objet vulnérant (Delabarde et al., 2017). Les particules de peinture et de métal laissées par une lame de scie sur la matrice spongieuse ou corticale d’une section complète d’un membre dans le démembrement d’un corps constituent un élément de preuve qui est identifié au microscope puis caractérisé par des analyses physico-chimiques complémentaires.
Le second objectif de recherche vise à comparer les techniques actuelles d’histologie sur des échantillons d’os secs. La technique d’inclusion en résine est d’ores et déjà utilisée pour les os provenant de contexte archéologique car elle permet une bonne conservation de la microstructure osseuse sans étape de décalcification (De Boer, 2013). Cette technique est en revanche très peu usitée dans le contexte médico-légal en raison de l’existence de plateformes automatisées dans les services d’anatomopathologie qui travaillent exclusivement avec l’inclusion en paraffine sur des échantillons osseux préalablement décalcifiés.
Nous prévoyons donc de réaliser deux séries de coupes sur un minimum de 60 échantillons d’os secs provenant de cas médico-légaux documentés en imagerie. Nous souhaitons comparer les deux techniques (paraffine/os décalcifiés et résine/os non décalcifiés) sur le tissu osseux sec (qui est une matrice difficile à traiter) afin de voir si l’inclusion en résine apporte réellement plus d’information et peut être adaptée aux échantillons issus d’un contexte médico-légal. De nombreuses colorations sont possibles avec la technique d’inclusion en résine, y compris l’immunohistochimie (Malluche, 1986 ; Ann, 2003).

Photo d’une lame d’os au microscope en lumière polarisée
(Inclusion en résine méthyl-méthacrylate).

Nous espérons que les résultats obtenus à partir d’au moins 60 échantillons osseux comprenant des atteintes d’origine traumatique ou pathologique, sur lesquels un examen d’imagerie classique (tomodensitométrique, scanner IML), un examen micro scanner (Micro CT, Fac. Chirurgie dentaire, Paris-Descartes) et une analyse microscopique (histologie osseuse) ont été réalisés (Figure 3). Les premiers résultats qui ont été publiés (Delabarde et al., 2020) en début d’année 2020 soulignent le potentiel des informations obtenues avec la mise en place d’un protocole adapté aux échantillons d’os secs. Nous poursuivons ces analyses en mettant à profit l’expérience des différents praticiens (médecins légistes, anatomopathologistes, anthropologues, radiologues).

4.2. Taphonomie : interaction milieu/diagénèse de l'os
En archéologie et en médecine légale, les os humains et animaux qui nous parviennent ont très souvent été modifiés et dégradés. Les recherches et les expérimentations menées sur la diagénèse de l’os apportent des données essentielles qui permettent de distinguer les lésions peri mortem des dégradations post mortem en lien avec le contexte taphonomique et/ou culturel (Hedges, 2002).
Depuis les années 1980, les champs disciplinaires de la paléontologie, de l'archéologie et de la médecine légale ont commencé à partager les outils et les méthodes leur permettant d'affiner les expertises dans leur domaine respectif (Haglund and Sorg, 2002). En archéologie, malgré l'utilisation d'outils sans cesse innovants (tomographie, imagerie 3D, microscopie MEB), l'interprétation des atteintes osseuses sur les squelettes peut être erronée ("equifinality vs multifinality"; Binford, 1981). C’est le cas de travaux récents dans le domaine de la taphonomie qui ont porté sur l’interprétation des traces d'activités sur les entités squelettiques des animaux. Pour exemple, selon que l'on attribue ces traces ou pas à des hominines, on en déduit différentes capacités cognitives et comportementales chez les plus anciens hominines vers 3 millions d'années en Afrique (Sahle et al., 2017). De même, la reconnaissance des plus anciennes traces anthropiques sur des restes fauniques pose la question d’une colonisation de l'Amérique du Nord vers 130 000 ans (Holen et al., 2017).
Ce projet d'équipe pluridisciplinaire est donc un atout pour l'étude de squelettes humains anciens découverts sur des sites archéologiques dans différents contextes (enfouissement naturel ou sépulture), provenant de différentes périodes (Pléistocène/Holocène; transition Néolithique/âge du Bronze). Il s'agit pour chacun des cas d'analyser les lésions peri mortem (causées par l'homme ou un prédateur) et de les distinguer des autres atteintes post mortem (causées par les charognards, rongeurs, etc. ou par des facteurs abiotiques lors des conditions de dépôt et d'enfouissement). L’objectif est d’étudier les sujets dans leur contexte taphonomique, et de reconstituer les évènements entre la mort des individus et leur enfouissement en pleine terre.
En complément de ces analyses basées sur des squelettes anciens, nous poursuivrons le corpus réalisé sur des cas médico-légaux pour lesquels un échantillon d’os a été prélevé et analysé en histologie. Une fois les autorisations obtenues, nous prélèverons un échantillon (1cm de côte et 0.5cm d’une section de diaphyse d’un fémur) pour chaque corps squelettisé ou en voie de squelettisation (nous estimons à 30 cas sur deux ans). L’examen microscopique de l’altération du tissu osseux basé sur l’analyse de l’index de préservation histologique (IPH) nous permettra d’étudier les conditions dans lesquelles le corps s’est décomposé (taphonomie) et d’évaluer le délai entre le décès de l’individu et sa découverte (estimation du délai post mortem) (Yoshino, 1991 ; Jans, 2008 ; Mello et al. 2017).
Lorsque les données de l’enquête seront disponibles, nous bénéficierons d’une datation approximative qui sera utile pour la comparaison des résultats. Nous prévoyons également à long terme, et lorsque cela sera possible, de compléter les analyses microscopiques par les données de l’étude génétique afin de comparer le degré d’altération osseuse avec la dégradation de l’ADN (Hollund et al. 2017).

Etude des conditions de dépôt et d'enfouissement des restes d'hominines anciens : la grotte de Tam Pà Ling au Laos.

 

4.3. L’Intelligence artificielle au service de la médecine légale : les diatomées

Le diagnostic de la mort par noyade est l’une des tâches les plus difficiles en médecine légale. En particulier, les signes constatés à l’autopsie ne sont pas réellement pathognomoniques de la submersion vitale (Piette & De Letter, 2006). Les diatomées, des algues microscopiques, peuvent alors se révéler d’une grande utilité pour le médecin légiste. En effet, lors de la noyade, ces algues présentes dans l’eau de submersion sont inhalées, passent dans la circulation sanguine et vont se nicher dans les tissus comme le foie, la rate, la moelle osseuse, le cerveau ou le rein. En revanche, dans le cas de l’immersion post-mortem d’un corps, le cœur est arrêté, les diatomées ne sont plus activement transportées vers les organes et sont donc normalement peu retrouvées dans les tissus irrigués par le sang (Ludes et al., 1996). Ainsi, les diatomées sont des indicateurs compatibles avec le caractère vital de la submersion dans le diagnostic de la noyade. Elles permettent également de localiser le site de la noyade grâce à la distribution des espèces présentes dans les prélèvements d’organes et dans l’eau du lieu présumé de la submersion vitale (Ludes et al., 1999). Les espèces de diatomées sont différenciables par les caractéristiques morphologiques de leur coque siliceuse et les ornementations qui y sont présentes (Blanco, 2020). Néanmoins, la reconnaissance des diatomées peut être relativement difficile lorsque celles-ci sont dans un milieu riche en impuretés (Takeichi & Kitamura). C’est pourquoi nous développons des modèles d’intelligence artificielle afin d’aider le technicien ou le médecin légiste dans la détection et l’identification des différentes espèces de diatomées.

 

Figure 1 : Actinoptychus splendens dans un prélèvement d'eau vu au microscope optique.
Figure 2 : Cocconeis grovei dans un prélèvement d'eau vu au microscope optique.
Figure 3 : Coscinodiscus asteromphalus dans un prélèvement de rein digéré par action enzymatique et vu au microscope optique.
Figure 4 : Navicula tripunctata dans un prélèvement de poumon digéré par action enzymatique et vu au microscope optique.

Bibliographie
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5. Principales collaborations

P-O. Antoine. Paléontologue. Institut des sciences de l'évolution. Université de Montpellier.

S. Blau. Professeur, Department of Forensic Medicine, Monash University Manager, Identification Services and Senior Forensic Anthropologist Forensic Services, Victorian Institute of Forensic Medicine. Australie.

D. Chappard. Professeur, chercheur en Histologie UPRES EA 4658 – LabCom NextBone,

H. De Boer. Anatomo-pathologiste. Academic Medical Center Department of Pathology, Amsterdam, Pays-Bas.

F. Demeter. Paléoanthropologue. Université de Copenhague, Danemark ; Musée de l'Homme, Paris.

P. Duringer, J-L Ponche. Géologues, géochimistes. EOST Université de Strasbourg.

T. Dunn. Anthropologue légiste. School of Medecine, Department of Medical Education, Creigton University, Omaha, USA.

R. Felizardo. Chirurgien-Dentiste MCU-PH Hôpital Rotchild, Paris-Descartes.

J.-J. Hublin, N. Bourgon, S. Freidline. Anthropologues, biogéochimistes. Département d'anthropologie évolutionnaire de l'Institut Max Planck à Leipzig, Allemagne.

R. Joannes-Boyau. Géochronologue. Université Southern Cross, Lismore, Australie.

Nguyen Thi Mai Huong, Nguyen Anh Tuan. Palynologue, paléontologue. Institut d’archéologie de Hanoï, Viêt Nam.

E. Patole-Edoumba. Archéologue lithicienne. Directrice du Musée de La Rochelle.

T. Sayavongkhamdy, E. Sichanthongtip, P. Khamdalavong. Anthropologues, Historiens. Département du patrimoine, Vientiane, Laos.

L. Shackelford. Anthropologue. Université de l’Illinois, Chicago, USA.

K. Westaway. Géochronologue. Université de Macquarie, Sydney, Australie.

C. Zanolli. UMR 5199 PACEA, Université de Bordeaux, France.

 

EQUIPE DE RECHERCHE EA2496 - Plateforme Imageries du Vivant Faculté de Chirurgie dentaire, Paris-Descartes.

EQUIPE DE RECHERCHE BIOSCAR UMR 1132 Biologie de l’os et du cartilage, Paris Diderot.